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Le chevalier comprendra que son
salut vient donc de lui-même, de
ce que lui-même considère comme
bon : faire le bien autour de lui, pro-téger les plus faibles et sauvegarder
ceux qu’il apprécie.
Le fruit interdit
Dans La Source, une jeune fille de
famille pieuse part en excursion
pour aller porter des chandelles
à l’église. Elle rencontre malheu-reusement un groupe de truands
qui la violent et l’assassinent, profi-tant de sa gentillesse naïve.
C’est probablement dans ce film
que le message de Bergman est le
moins subtil. Élevée avec le voile
de la bonté de Dieu sur les yeux,
la jeune fille n’était aucunement
préparée à la réalité d’un monde qui
n’est pas régi par la morale chrétienne ni par la bonté universelle
de Dieu. La jeune fille est comme
une âme vierge qui n’a pas croqué
le fruit interdit et dont la vision
du monde est celle d’un Éden où
l’homme, fait à l’image de Dieu, ne
peut pas être enclin à la méchan-ceté ou à la cruauté.
L’innocence de la jeune fille, valo-
risée par la culture traditionnelle et
par sa famille, la mènera à sa perte,
à sa mort violente. Le discours de
Bergman dénonce l’éducation reli-
gieuse qui donne une vision idéali-
sée du monde.
Après avoir retrouvé le corps
de sa fille, le père énonce le sou-hait de construire une église sur le
site. Cette affirmation montre que
l’homme n’a rien appris ni compris
des événements et préfère encore
célébrer la gloire de Dieu plutôt que
d’essayer de s’élever à son niveau.
Vide
Dans Persona, une actrice catato-nique part en retraite sous la protection d’une infirmière qui lui
racontera toute sa vie. À un moment, l’infirmière se confondra avec
l’actrice et deviendra tranquille-ment et réellement (même aux yeux
des autres) l’actrice. Le film raconte
très peu de choses sinon la relation
entre les deux femmes, et c’est probablement ce vide qui demande réflexion. Il n’existe rien dans ce film
que les choses qui y sont représen-tées, ce que l’on peut voir, toucher,
ce avec quoi on peut interagir.
Même l’essence (l’âme ?) invisible
des deux femmes est interchangeable. Dans ce monde, Dieu n’existe
pas et le film laisse une grande impression de vide, d’indifférence, de
manque de sens et de lassitude.
Dans ce film, Bergman imagine
une vie (sa vie ?) d’un point de vue
entièrement « terrestre » sans spiri-
tualité où même l’art semble vidé
de son aura invisible. À ce niveau,
la présence de la télévision dans la
chambre de l’actrice est probable-
ment aussi une critique sociale de
la déspiritualisation. Les événe-
ments n’ont pas de causes, pas de
conséquences, pas de « grand des-
sein ». Bref, Bergman semble nous
montrer que la vie sans l’invisible,
peu importe ce qu’est cet invisible,
est une vie vide que l’on ne fait que
traverser sans but.
Ingmar Bergman est donc issu
d’une éducation luthérienne stricte
et envahissante qu’il aurait rejetée
si elle n’avait pas fait autant partie
de lui-même, non pas en tant que
doctrine de vie, mais en tant que
culture. Dans ses films, Bergman
s’exprime non seulement sur le
monde, sur la religion et sur la vie,
mais aussi sur sa propre vie : comment il vit avec ce qu’il est, d’où il
vient et où il va. Surtout, Bergman
nous montre qu’il ne faut pas con-fondre religion et Église, spiritualité et doctrine, bonté et morale,
et que si « Dieu est partout », c’est
aussi parce que « Dieu est nulle
part » ; l’homme le cherche depuis
des siècles à l’extérieur de lui-même
alors qu’il devrait se regarder de
l’intérieur.
De gauche à droite : tournage du Septième sceau ; Bergman à Amsterdam, 1966 ; tournage de L’attente des femmes
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