Les sécularisés n’ont pas forcément rejeté la foi, mais le système,
l’autorité. Les vérités fondamentales
de l’Église n’ont plus leur autorité,
elles sont remplacées par d’autres
qui ne sont pas obligatoirement en
contradiction avec le message de
l’Évangile.
Postmodernité3 et
postchristianisme
Le décrochement de l’Église dans
les enjeux de la société n’est pas
forcément synonyme de déchris-tianisation, mais d’une forme de
sécularisation des religions. Il y a
d’autres facteurs qui placent l’Église
dans une position « post-Église »,
dont la mondialisation avec ses innovations économiques, culturelles
et sociales ; la liberté de pensée
est au coeur de cette transformation, l’homme n’a besoin ni de la
religion ni de Dieu pour pouvoir
penser librement, pour être pleinement humain, pour être générateur
de progrès. Le holisme chrétien ne
transcende plus l’âme ni même le
corps.
Stuart Murray donne une assez
bonne définition : « La postchré-tienté est la culture qui émerge au
moment où la foi chrétienne perd sa
logique au sein d’une société qui a
été modelée par le récit chrétien et
alors que les institutions qui ont été
construites pour exprimer les convictions chrétiennes perdent leur
influence » 4.
Mais faut-il que l’Église soit in-fluente Aujourd’hui, l’oeuvre chrétienne s’accomplit par des organismes non religieux et sans la philosophie chrétienne, sans Jésus ni ré-férence à lui. Elle n’est plus la source
de la charité ni de la dignité hu-maine ; ces valeurs qui lui étaient
propres sont maintenant devenues
celles d’une société remodelée et
sécularisée.
Par ailleurs, l’Église doit faire son
christianisme en réagissant à des
enjeux auxquels l’Évangile n’a pas
de réponse directe ou concrète ; elle
doit inévitablement apporter des
réponses qui ne sont pas proposées
par Jésus. Elle est entrée dans un
christianisme sans Jésus.
L’entrée de l’Église
dans la nouvelle ère
Le christianisme se pratique de plus
en plus avec le personnage de Jésus
dans le lointain ; lors d’un baptême,
le sacrement fut célébré en présen-
tant les valeurs familiales, de par-
tage et d’amour ; Jésus ne fut pra-
tiquement pas mentionné, et pour-
tant le sacrement fut célébré avec
d’autres éléments. Un sacrement
pratiqué avec Jésus en filigrane,
presque invisible. Lors d’un sermon
très protestant, le pasteur a passé
la majorité de son temps à discuter
de communication, en utilisant le
vocabulaire séculier et spécifique
de la thématique. Le résultat, un
sermon inspirant et guidant, mais
sans aucune mention de Jésus ou
presque.
Ces deux exemples illustrent que
le christianisme sans Jésus est bien
réel. Le message central du christianisme, la proposition salvifique,
la croix, le sacrifice sanglant d’un
homme, n’est plus porteur de sens.
Dire le salut de manière contemporaine, c’est dire le « bien-être », et
celui-ci peut être dit sans Jésus, un
salut annoncé par autre chose que
le dogme chrétien habituel. Ce n’est
pas l’effacement total, mais une reformulation qui place le personnage de Jésus en arrière-plan, un
salut presque sans lui. Ce n’est pas
le message de Jésus qui meurt, mais
sa mise en pratique et sa capacité de
répondre aux nouveaux défis socié-taux.
Si l’Église meurt Il faudra en
faire le deuil (si nous ne sommes
pas déjà en deuil) et se demander si
nous verrons émerger une nouvelle
Église postmoderne.
Sommes-nous aujourd’hui entrés
dans une époque où le christianisme n’est plus politique, culturel,
économique, dogmatique Une
nouvelle ère où l’individu peut
pleinement se réaliser et avoir ses
besoins psychologiques et spirituels
satisfaits par une forme nouvelle de
christianisme où le personnage de
Jésus est effacé, une post-Église qui
prend finalement soin des êtres humains et disparaît comme institution et comme bâtiment ?
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1 La « sécularisation » est un mot qui apparaît au XVIIe siècle, et c’est un terme politique
indiquant que des propriétés ecclésiastiques passaient sous l’autorité de l’État.
Au XIXe siècle, le mot ne fait plus seulement allusion aux biens, mais aussi aux idées,
aux concepts, aux pouvoirs, aux privilèges.
2 Dans le sens des « valeurs ».
3 On appelle « moderne » l’époque qui a débuté lors de la transition entre le Moyen Âge
et la Renaissance. La période des Lumières et de la Révolution industrielle est aussi
synonyme de modernité.
4 Stuart Murray, Post-Christendom. Church and Mission in a Strange New World, Carlisle,
Paternoster, 2004.