de la théologie de libération
André Jacob, professeur associé, Université du Québec à Montréal, jacob.andre@uqam.ca
D’entrée de jeu, je mentionne que le thème de cet article
m’habite depuis de nombreuses
années. Ainsi, en 1990, lors d’un
colloque à Lima, au Pérou, j’ai eu
l’insigne honneur de participer à
une table-ronde en compagnie de
Gustavo Gutiérrez, un penseur majeur de la théologie de la libération,
et de Paulo Freire, un autre penseur marquant et un pédagogue des
masses populaires.
Dans les années 60, un bouil-lonnement politique et idéologique a secoué l’Amérique latine.
Sur ce continent à forte majorité
catholique, le Concile Vatican II
représentait une véritable bouée
de sauvetage. D’un côté se trou-vait une hiérarchie cléricale catholique bourgeoise depuis longtemps
déjà embourbée dans ses relations
avec les tenants des différents ni-veaux de pouvoir et, de l’autre, une
bonne partie du « bas-clergé » lié
aux milieux défavorisés, ouvriers,
populaires, paysans et autochtones.
C’était l’époque de la révolution
cubaine et de l’apparition de dictatures militaires dans plusieurs
pays, dont le Brésil, face à la mon-tée des mouvements de gauche. Et
c’était aussi une période de débats
critiques au sein de l’Église catholique.
Comment vivre
la charité évangélique
dans le temps présent ?
Dans ce contexte explosif, des
« intellectuels organiques », dirait
Gramsci, ont développé des analyses
critiques de la conjoncture et propo-sé de nouvelles pistes d’action – sur
les plans théoriques et pratiques, et
sur les scènes politiques, sociales et
religieuses. Le pasteur presbytérien
d’origine brésilienne Rubem Alves
(1933-2014), alors en exil aux États-Unis, publia une thèse à l’Université de Princeton dans laquelle il
utilisa l’expression « théologie de la
libération » pour la première fois1.
Ses réflexions appliquées à l’Amérique latine s’inscrivaient dans
les perspectives théologiques déjà
mises de l’avant par plusieurs théologiens européens protestants de
cette époque, notamment en Alle-magne et en Suisse avec Karl Barth,
Emile Brunner, Dietrich Bonhoeffer et Martin Niemöller. L’ouvrage
d’Alves fut publié en espagnol2 en
1970 avec une préface du théolo-gien protestant José Miguel Bonino.
Sa démarche théologique critique
s’inscrivait dans la mouvance de
la gauche et rejoignait des intellec-tuels comme le pédagogue brésilien
Paulo Freire, qui publia La pédagogie des opprimés3 à la même époque.
En publiant ses réflexions en espagnol et en portugais, Alves réalise trois objectifs : tout d’abord, il
ouvre la porte à un débat de fond
sur la solidarité des églises avec
les pauvres en Amérique latine ;
deuxièmement, il se démarque des
théologiens européens ; et enfin,
il contribue à mettre en marche
les communautés ecclésiales dans
une participation critique au changement des institutions sociales
et économiques. Pourquoi ? Tout
simplement parce que la recherche
de la justice sociale inspirée par les
préceptes évangéliques s’inscrivait
au coeur de cet ouvrage mémorable.
Au sein de l’Église catholique, ce
fut le Péruvien Gustavo Gutiérrez
qui ébranla les colonnes du temple
avec son livre-phare, Teología de la
liberación4. L’enjeu principal autour
duquel s’est construite son approche
résulte d’une analyse critique de
la conjoncture sociale et politique.
Son constat l’amène à poser la pierre
d’assise de sa démarche théologique
et à soulever une question fondamentale d’une façon claire et crue :
comment vivre la charité évangélique dans le temps présent ?
Une « option scellée dans le sang »
Il s’agit d’un engagement clair envers la libération des pauvres. Le
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